homélie du 32e dimanche A (8 novembre 2020)
La première lecture essaie de nous faire goûter combien l’intimité de Dieu est désirable. Nos désirs d’être aimé, de nous sentir proche de quelqu’un, d’être accepté et compris, tout cela vient d’une semence que Dieu a mise en nous en nous créant à son image. Comme disait saint Augustin, « Tu nous as faits pour toi, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en toi ».
Nous sommes faits pour cette rencontre et cette intimité, mais encore faut-il la chercher, la désirer suffisamment. Sinon on se retrouve comme une vierge imprévoyante, dont la lampe vacille. C’est le désir de son cœur qui n’est pas assez ferme pour traverser la nuit. Ni pour aller à la rencontre de l’époux. Qu’à cela ne tienne, ne pourrait-il pas se contenter de la pénombre ? Cet époux n’est-il pas capricieux ? Ce n’est pas lui que cela gêne, c’est nous, car en faisant cela nous allons alors manquer notre bien propre.
Notre bien propre ! C’est bien de cela qu’il s’agit. Si on lit sans faire attention on se dira : quelles vilaines égoïstes, ces vierges dites sages qui ne veulent même pas partager ! Mais la parabole suggère plutôt que le bien dont il s’agit n’est pas partageable, c’est notre bien propre. Samedi matin nous entendions Jésus nous dire dans la liturgie : « si, pour ce qui est à autrui, vous n’avez pas été dignes de confiance, ce qui vous revient, qui vous le donnera ? » (Lc 16,12) Quel est donc ce bien propre ?
Dans la troisième prière eucharistique, on demande à Dieu : « que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire, pour que nous obtenions un jour les biens du monde à venir ». Longtemps j’ai été gêné par cette tournure : « que nous obtenions les biens du monde à venir ». N’y a-t-il pas quelque chose d’exagérément possessif, pour un Royaume où nous devons être une offrande, être don de nous-mêmes ? J’ai eu envie de dire « pour que nous entrions dans les biens du monde à venir ». Peut-être l’ai-je même dit… Que Dieu me pardonne. Puis je me suis laissé instruire. Cette tournure est vraiment adéquate à la logique de l’amour, qui veut pouvoir saisir et posséder l’être aimé. Il n’y a rien là qui blesse l’amour, au contraire. Ce qui blesse l’amour, c’est de vouloir posséder l’aimé pour soi tout seul. Mais pas de l’avoir à soi vraiment. Pour reprendre un terme mis à mal dans la théologie ces dernières décennies, il nous faut « mériter de posséder Dieu ». Et il est important de trouver dans ce besoin humain et cette promesse de Dieu la clé spirituelle de nos manques les plus cuisants : nous avons besoin de posséder Dieu.
J’essaie d’expliquer. Trop souvent nous nous apprêtons à vivre la vie éternelle comme des locataires ou des touristes. Nous espérons y parvenir, quand nous y pensons, mais nous ne pensons pas que nous serons vraiment chez nous et que le Seigneur pourra nous dire comme à son Fils bien-aimé : « tout ce qui est à moi est à toi ». Nous pensons au ciel comme à un immense parc d’attraction, en nous disant que nous espérons que nous pourrons nous acquitter du prix de l’entrée. Au lieu de cela, pensons au ciel comme à notre maison à nous qui serait encore plus fascinante que le plus rêvé des parcs d’attraction. N’imaginons pas que nous serons comme les invités de Dieu, bienvenus tant que nous n’abîmons rien, dans un ciel où nous pourrons surtout continuer nos petites affaires comme nous l’entendons ! Le Seigneur ne veut pas nous accueillir comme des invités, mais comme les enfants de la maison, qui sont partout chez eux.
Nous pouvons aussi regarder les choses du côté du cœur. Quel amour vivrons-nous au ciel ? Est-ce que ce sera le prolongement de nos plus belles amours terrestres ? Incroyablement plus ! Un amour fou cherchera à nous saisir, à nous combler. Ce ne sera pas l’éblouissement d’un soir. Par l’engagement de notre liberté, nous pourrons répondre au Seigneur : ton cœur est à moi pour toujours, et moi je suis à toi pour toujours. C’est l’amour le plus fou et le plus inébranlable que nous vivrons, celui qui nous est acquis par la victoire du Christ sur la croix. Contemplons sa victoire sur tous les obstacles à l’amour, en nous et autour de nous. Entrons dans une immense reconnaissance : ô Christ, tu as fait que nous puissions appartenir à la Trinité toute entière et qu’elle soit à nous aussi ! Gloire à toi ! Et maintenant, mettons en œuvre notre liberté, élargissons notre cœur en aimant nos frères comme nous-mêmes, afin de mériter de posséder Dieu. Car, comme disait aussi saint Augustin, « Dieu, qui t’a créé sans toi, ne peut pas te sauver sans toi ».
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